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musique classique - Page 5

  • Courtoise et romantique Maguelone

    Voilà une œuvre peu connue de Brahms, La Belle Maguelone, que propose en album b-records, dans une version publique au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. L’enregistrement date des 5 et 6 mars 2023.

    La Maguelone Romazen op.33 du compositeur allemand a été composée sur des poèmes de Ludwig Tieck. L’ensemble de lieder se base sur un récit anonyme du XVe siècle que le récit en français dit par Roger Germser éclaire : "Voici en la manière qui s’ensuit, l’ystoire (sic) de la belle Maguelone, fille du roi de Naples et du vaillant Chevalier Pierre, fils du Comte de Provence".

    Le baryton Stéphane Degout et la mezzo-soprano Marielou Jacquard – sans oublier le piano d’Alain Planès – se lancent à corps perdu dans cette série de lieder dans lequel le romantisme revisite une certaine image fantasmée du Moyen-Âge.

    Il faut saluer la puissance vocale de Stéphane Degout dans le court lied "Traun! Bogen ynd Pfeil sind gut für den Feind". L’esprit courtois sied à merveille cette œuvre romantique de Brahms. On s’en persuade dans le poème "Sind es Schmerzen, sind es Freuden" dans lequel Pierre de Provence chante un amour naissant et dévastateur : "Est-ce la douleur, est-ce la joie ? / Qui traverse mon cœur ? / Tous les désirs anciens disparaissent / Mille nouvelles fleurs éclosent".

    La passion partagée par Maguelone est tout aussi cruelle pour elle, qui doit entendre l’impossibilité d’une idylle pour un étranger. Marielou Jacquard chante ainsi ce coup de foudre dans l’un des plus brillants lied de l’album : "Amour vint d’un lointain pays" ("Liebe kam ais ferren Landen").  

    Il ne manque ni la confidente – en l’occurrence la nourrice de la belle Maguelone – ni l’esprit courtois ni la place de la vertu et du mariage. Pour autant, nous sommes bien au XIXe siècle, comme le prouve la déclamation enflammée et romantique de la fille du roi de Naples ("Et dois-je le croire ? / Ne va-t-on pas me ravir / Ce délicieux délire ?", "So willst du des Armen dich gnädig erbamen"). Les propos de Pierre sont à l’avenant dans le lied suivant : "Comment puis-je supporter / La joie et la volupté ? / Sans perdre mon âme / Sous les battements de mon cœur ?", "Wie soll ich die Freude, die Wonne denn tragen?").

    Pour autant, nous sommes bien au XIXe siècle

    Comme toute histoire d’amour digne de ce nom, il y a la rencontre avec les deux futurs amants et la déclaration, sans oublier le don d’une bague confiée par la mère de Pierre. C’est ce dernier qui chante ce rendez-vous ("War es dir, dem diese Lippen bebten"). Cependant, il fallait bien un obstacle à cet idylle – et future union : c’est la perspective d’un futur mariage arrangé de Maguelone avec un autre noble, Ferrier de Valois, qui contraint les amoureux à prendre la poudre d'escampette. "Je m’enfuirai avec elle", chante Pierre, puisque seule la fuite avec elle leur permettra de vivre heureux. Suit un délicat chant qui dit l’émotion de Pierre en voyant sa belle endormie sur l’herbe ("Repose-toi, doux amour"). Là encore, Brahms est dans le plus pur romantisme : l’émotion à son paroxysme, la nature au diapason et toujours l’environnement gothique dans ce magnifique lied tout en retenue.

    Romantisme encore avec l’élément marin, les vagues et la tempête, présents à la faveur d’un incident au départ banal – un oiseau s’intéressant à l’étoffe rouge de Maguelone. Brahms utilise dans le lied "Verzweiflung" son talent de coloriste musical pour rendre les vagues écumantes autant que le tourment de Pierre embarqué loin de sa belle.

    Marielou Jacquard/Maguelone réapparaît dans le chant suivant, tout en retenue dans son désespoir de se retrouver seule, loin de Pierre. On gouttera ce lied qui parle d’amour disparu, de tourments intérieurs mais aussi de mort ("Wie schnell verschwindet so Licht als Glanz"). La séparation est aussi cruelle pour Pierre, recueilli loin de Naples et de la Provence, en Égypte. Sans nul doute y a-t-il là ce goût de l’orientalisme, cher à l’esprit du XIXe siècle.  

    Le temps des retrouvailles est proche cependant pour les deux amoureux, mais ce ne sera pas sans un nouveau voyage en mer, mis en musique avec gourmandise et légèreté par le compositeur allemand, avec une Marielou Jacquard tout aussi enjouée et irrésistible ("Bien aimé, où te mène / Ton pied hésitant ? Le rossignol parle / De nostalgie et de baiser"). Stéphane Degout est au diapason dans le tourmenté, joyeux mais aussi plein d’incertitudes "Wie froh und Frisch mein Sinn sich heb".

    L’auditeur sera sans doute surpris que, contrairement à beaucoup d’oeuvres romantiques, c’est un happy end qui conclut cette histoire de passion idéale, courtoise et contrariée. Stéphane Degout chante ainsi, avec un plaisir non dissimulée, ce qui pourrait être la morale de l’histoire de la Belle Maguelone et de Pierre : "L’amour fidèle dure toujours / Il survit à de nombreuses heures / Il ne s’alarme d’aucun doute, / Son courage reste toujours sain".  

    Johannes Brahms, La Belle Maguelone,
    Stéphane Degout (baryton), Marielou Jacquard (mezzo-soprano),
    Alain Planès (piano), Roger Germser (récit), b-records, 2023

    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Les paroles, la musique et le vieil homme"

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  • Franck par Lazar

    César Franck : voilà un compositeur discret, pour ne pas dire oublié, et dont la popularité semble beaucoup se limiter au "Panis angelicus". Dommage. On doit remercier le pianiste français Ingmar Lazar pour ce choix d’œuvres pour piano, à commence par la délicate première sonate commençant par un "Larghuetto-Allegro moderato" tout en finesse.

    Avec César Franck, on est au cœur de cette musique française de la deuxième moitié du XIXe siècle. Alors que la musique allemande et romantique domine et que le modernisme s'annonce, la France reste dans une facture classique, avec parfois une fausse candeur ("Adagio, andante moderato"), mais sans jamais vendre au diable son élégance, ni ses influences romantiques (le troisième mouvement de la Sonate n°1, "Rondo, allegro vicace").

    L’auditeur trouvera ce puissant, subtil et ambitieux "Grand Caprice" (1843), aux arabesques sonores incroyables et demandant à l’interprète – ici, Ingmar Lazar – une virtuosité implacable.

    Puissant, subtil et ambitieux 

    L’album proposé par Hänssler et Ingmar Lazar propose un premier "Prélude, aria et fugue" en trois parties, avec toujours cette facture romantique au classicisme très "musique française". On se croirait dans les salons bourgeois du début de la IIIe République, car l’œuvre a été écrite entre 1886 et 1887. César Franck se déploie avec tact et brillance les trois mouvements.

    L’auditeur s’arrêtera sans doute avec plaisir sur le lent, tourmenté et aux accents nostalgiques et douloureux "Aria" ("lento"), avant un "Final" enlevé, pour ne pas dire agité ("allegro molto ed agitato").    

    L’album d’Ingmar Lazar se termine par un dernier "Prélude, choral et fugue". Écrite en 1884, l’œuvre se place d’emblée, à travers son titre, sur les pas de Jean-Sébastien Bach, avec un "Prélude" moderato au romantisme bouillonnant. Le "Choral, "poco più lento" se déploie avec une grâce indéniable, servi par un pianiste magnétique.

    Avec le dernier mouvement, "Fugue", nous voilà chez Bach. Mais un Bach catapulté en pleine deuxième mouvement du XIXe siècle, avec cette touche française propre à César Franck.    

    Et si l’on concluait en disant que l’album propose là l’une des plus séduisantes découvertes du compositeur français ? 

    César Franck, Piano Works, Ingmar Lazar, Hänssler, 2023
    https://www.facebook.com/ingmarlazarpiano
    https://www.ingmar-lazar.com
    https://haensslerprofil.de/shop/soloinstr-ohne-orchester/cesar-franck-piano-works

    Voir aussi : "Histoires de roux et de rousses"

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  • Histoires de roux et de rousses

    Je vous parlais il y a peu de l’étonnante et rafraîchissante compilation de Camille et Julie Berthollet consacré aux génériques télé (Series). Tout aussi vivifiant, leur version des Quatre Saisons de Vivaldi, sortie en 2019, mérite que l’on s’y intéresse.

    Certes, depuis les revisites baroques sur instruments d’époque au cours des années 80 et 90, le chef d’œuvre populaire du compositeur roux vénitien semble avoir été assez peu dépoussiéré – si l’on excepte celle de Nemanja Radulovic en 2011. Or, soyons honnêtes, les jeunes divas rousses de la musique classique ne révolutionnent pas la lecture des célèbres quatre concertos pour violon.

    C’est un retour à une œuvre classique, archi-jouée, archi-connue et archi-réutilisée que Camille et Julie Berthollet proposent, et l’on doit bien admettre que les violonistes se tirent très bien de cet exercice, si l’on pense au "Printemps ». Pour "L’été", les interprètes mettent la jeunesse, l’enthousiasme et la vivacité à l’honneur, dans un premier mouvement "Allegro non molto" mené tambour battant et un "Allegro" naturaliste et nerveux.

    L’auditeur ne se sentira pas dépaysé par cette version somme toute classique des Quatre Saisons, dont chaque concerto ne dépasse pas les douze minutes, ce qui rend cette œuvre d’autant plus dense, efficace et imagée : les danses villageoises aux beaux jours, les paysages écrasés de soleil, les couleurs de l’automne, la nature qui s’endort (l’"Adagio Molto" de "L’automne"), sans oublier les tourbillons musicaux incroyables dans "L’hiver", sont sans aucun doute l’un des summums de la musique classique. 

    Pop

    Si les sœurs Berthollet ont appelé leur album Nos 4 Saisons, ce n’est évidemment pas sans raison. Comme elles l’écrivent en présentation de leur disque, les interprètes insistent sur la puissance et l’influence de cette œuvre du "prêtre roux" dans l’histoire de la musique : "Si on écoute bien, on retrouve ses harmonies dans toute la musique pop d’aujourd’hui".

    "Pop". Le mot est dit et assumé. Camille et Julie Berthollet assument cette idée en proposant, suite à leur version des concertos de Vivaldi, quatre chansons composées en grande partie par les sœurs Berthollet d’après des fragments et des extraits des Quatre Saisons. C’est "Pour être une femme", en featuring avec Joyce Jonathan, d’après "L’hiver", c’est "Même étoile", avec Ycare, d’après "L’automne". C’est aussi "Crash d’amour", avec Foé d’après "Le printemps". Il faut aussi parler de "Regard d’été" écrit, composé et interprété (on aimerait même dire slamé) avec grâce par Camille et Julie Berthollet. Cette chanson est sans doute l’un des bijoux surprises de cet étonnant opus, opus plaisir qui entend dépoussiérer les monuments du classique.  

    Comme beaucoup d’enregistrements des Quatre Saisons, celui-ci se termine avec une version de L’estro armonico, un ensemble de concertos pour violon, mené avec maestria et un plaisir manifeste. Et comme les sœurs Berthollet entendent assumer jusqu’au bout leurs envies de décloisonner les genres, elles clôturent leur album avec une chanson originale, "Falling", prouvant que ces artistes ne sont pas que des interprètes inspirées. Elles sont aussi des compositrices, aussi à l’aise dans le classique que dans la pop et la chanson. 

    Camille & Julie Berthollet, Nos 4 Saisons, Warner Classics, 2019
    https://www.warnerclassics.com/fr/release/4saisons
    https://www.camilleetjulieberthollet.com
    https://www.facebook.com/camilleetjulieberthollet
    https://www.instagram.com/julieberthollet
    https://www.instagram.com/camilleberthollet
    https://www.youtube.com/channel/UCd4tZR7nSGBtHF5Gbt4BZQg

    Voir aussi : "Chiller avec les sœurs Berthollet"

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  • Rien que de plus classique

    Rien de plus classique que Mozart. Et rien de plus classe ni de plus élégant non plus, semble nous dire Elizabeth Sombart, au piano pour les quatre célèbres concertos pour piano 20, 21, 23 et 27 du génie autrichien. Elle est ici accompagnée par le Royal Philharmonic Orchestra dirigé par Pierre Vallet.

    L’auditeur retrouvera en premier lieu dans ce double album le lustre du 20e Concerto pour piano en ré mineur, romantique avant l’heure, plein de fièvre et de tensions ("Allegro"). La pianiste française s’y meut avec assurance et une solide maîtrise. On a aussi envie de dire que rien n’est sans doute plus piégeux que de se réapproprier des passages de musique classique devenus de véritables "tubes", à l’instar de la "Romanze". Pari réussi pour la pianiste française qui s’en sort sans esbroufe et avec la même assurance. L’"Allegro assai" est interprété avec une joie communicative et d’une magnifique expressivité.

    Le Concerto pour piano n°21 en ut majeur ne peut que caresser les oreilles de l’auditeur, qui retrouvera dès le premier mouvement une de ces mélodies éternelles ("Allegro Maestoso"). Le deuxième mouvement "andante" captera aussi bien les oreilles que le cœur, tout autant que l’enlevé "Allegro vivace assai", à la fausse légèreté.

    De véritables "tubes"

    Dans ce double album, il était impossible de passer à côté du chef d’œuvre incroyable qu’est le 23e Concerto pour piano en la majeur. Les trois mouvements respirent du même souffle et de la même luxuriance mélodique. Que l’on pense à cette arrivée magique du piano dans le premier mouvement "allegro". Il suffit de quelques notes pour le rendre bouleversant et inoubliable. On ne saura trop répéter à quel point Mozart sait rendre la légèreté profonde, alors que l’apparente simplicité mélodique se fait vite labyrinthique.

    Peu de concertos pour piano dans l’histoire de la musique n’ont proposé mouvement aussi bouleversant que le célèbre "Adagio" de ce 23e. Pas de maniérisme, pas d’exubérance, pas d’effets appuyés comme certains "tubes" populaires, mais un moment de grâce de près de sept minutes et demi, servi par une Elisabeth Sombart s’effaçant derrière la composition de Mozart. Le concerto se termine avec le luxuriant "Allegro assai" – une "résurrection" selon Olivier Messiaen – avec pas moins de huit épisodes thématiques. Une vraie œuvre dans l’œuvre.

    Pour compléter ce double album mozartien, Elisabeth Sombart propose son tout dernier concerto pour piano, le numéro 27 en si bémol majeur, que le compositeur autrichien a écrit en janvier 1791, soit quelques mois avant sa mort. Ce n’est certes pas le plus connu, mais la maîtrise du génie est indéniable et éclate à chaque mesure, non sans facéties (le premier mouvement "allegro"). Le mouvement suivant, "Larghetto", a ce singulier dépouillement, que vient contrebalancer la dernière partie, un "Rondo : allegro" mené avec une belle efficacité toute mozartienne.  

    Elisabeth Sombart fait plus que servir Mozart : elle lui rend hommage et le magnifie. 

    Wolfgang Amadeus Mozart, Concerts pour piano 20, 21, 23 et 27,
    Elisabeth Sombart au piano, Royal Philharmonic Orchestra dirigé par Pierre Vallet, Rubicon, 2023

    https://www.elizabethsombart.com
    https://rubiconclassics.com/release/mozart-piano-concertos-nos-20-21-23-27

    Voir aussi : "Les Schumann en majesté"

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  • Dames du temps jadis

    Voilà un genre musical et une époque qui passent complètement sous les radars. Le Moyen Âge. Une période injustement méprisée car mal connue, riche pourtant de chefs d’œuvres mais aussi et surtout de créations musicales que l’Ensemble Apotropïk propose de découvrir dans son magnifique album Bella donna, qui se veut une restitution et une découverte d’un vaste patrimoine musical encore méconnu. Le luthiste Clément Stagnol l’explique de manière passionnée et passionnante en présentation de l’album.

    Cet opus propose un mélange d’œuvres la plupart en vieux français du XIIe au XVe siècle, d’artistes divers, relativement méconnus – Comtesse de Dia ou Beatritz de Dia (fin du XIIe siècle), Bernard de Ventadour (v. 1125-v,1200), Guillaume Dufay (1397-1474) ou, plus célèbre, Guillaume de Machaut (v. 1300-1377) – mais le plus souvent anonymes ("Santa Maria amar", "Isabella").

    Cet album a été pertinemment partagé en trois parties, "Tempérance", "Charme" et "Tourment", donnant à cet opus une bonne cohérence, en dépit des sources disparates, s’étalant quand même sur cinq siècles !

    Un fil conducteur relie ces œuvres : celui de la figure féminine, qu’elle soit artiste (Beatriz de Dia) ou modèle célébrée, chantée, honorée, désirée, voire méprisée ("O cruel donna"). "Le pari de cet enregistrement est de donner voix à ces femmes, de façon plus ou moins détournée… Il s’agit de mettre en lumière (ces femmes), les faisant passer du rang d’objet à ce lui de sujet", explique Geneviève Brunel-Lobrichon. 

    Chantée, honorée, désirée, voire méprisée

    Quoi de plus logique, alors, que de faire commencer cet album par le sobre et délicat "A chantar m’er de so qu’eu no volria" de la Comtesse de Dia, avec ces paroles qui traversent les siècles et qui touchent encore : "Je veux savoir, mon cher et bel ami / Pourquoi vous m’êtes si farouche et endurci" (les paroles sont traduites en français moderne).

    Après un instrumental du troubadour Bernard de Ventadour ("Can l’erba fresc"), l’Ensemble Apostropaïk propose un chant religieux galaïco-portugais à la Vierge Marie, "Santa Maria leva", une manière aussi de marquer l’imprégnation profonde de la religion dans les arts du Moyen Âge, avec les deux figures marquantes dans la représentation féminine que furent Eve et s. Marie. Plus étonnant sans doute, le cantiga "Santa Maria amar" conte un miracle autour d’une abbesse tombée enceinte suite à un méfait du diable. "Nous devons beaucoup aimer…" répète le chant telle une litanie.

    Parmi les compositeurs connus, figure Guillaume de Machaut, dans le magnétique "Honte, paour, doubtance de meffaire", véritable illustration de la courtoisie médiévale – mais aussi du patriarcat : "Fidélité, amour et loyauté garder. / Tels sont les points que dans son cœur garde une dame / Qui de son honneur veut faire bonne garde". L’auditeur sera sans doute frappé par cette autre œuvre du chanoine français : "Phyton, le merveilleux serpent", étonnant chant faisant d’une femme éconduisant l’amoureux un monstre, mais un monstre plaisant et qui s’amuse du tourment.

    Autre compositeur masculin, Guillaume Dufay propose, après une longue introduction, un chant d’amour assez classique : une femme refuse le mariage qu’on lui impose et préfère mourir que voir son amoureux disparaître – condamné à mort. L’amour humain est encore présent dans l’album, parfois sous la forme de critiques. Inconstances, tromperies, dédains de la femme : tel est le sujet du chant tiré du Codex de Chantilly de la fin du XIVe et du début du XVe siècle, alors que la courtoisie en est à son chant du cygne.

    L’auditeur sera tout autant touché par cette complainte qu’est "Fortune, trop as vers moy grant tort" : "Il n’en est aucun qui croisse en réconfort / Et mon triste cœur tu l’as mis à la torture".

    Et si les dames du temps jadis n’avaient pas si changées que cela ? 

    Bella donna, Ensemble Apostropaïk, La Belle Abbesse, 2023
    Clémence Niclas (voix et flûtes à bec médiévales), Louise Bouedo (vièle à archet),
    Marie-Domitille Murez (harpe gothique), Clément Stagnol (luth médiéval)

    https://www.editionsdesabbesses.com
    https://www.apotropaik.eu

    Voir aussi : "Éternelle et musicale Norvège"

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  • Les Schumann en majesté

    C’est un programme ambitieux et passionnant que propose le double album sobrement intitulé Collection Schumann, avec des œuvres pour violon de Robert Schumann et Clara Schumann. L’opus a été enregistrés en public à la salle Elie de Brignac-Arqana de Deauville entre avril et août 2022. La formation de chambre au cœur de cet opus est formée du violoniste Pierre Fouchenneret, du pianiste Théo Fouchenneret et de l’Orchestre Régional de Normandie placé sous la direction de Jean Deroyer pour la dernière œuvre, le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur.

    Cette Schumann Collection est pour l’essentiel consacrée à de la musique de chambre. Commençons par parler de Robert Schumann et des ses trois Fantaisies pour violon et piano, classiques, élégantes et surtout des parfaits exemples de ce qu’il y a de mieux dans le romantisme. Légèreté n’est pas forcément mièvrerie, aurait-on envie d’écrire à l’écoute du "Lebhaf, leicht". Ces fantaisies ouvrent avec aplomb et enthousiasme le double album.

    L’auditeur retrouvera ensuite avec plaisir la Sonate pour violon et piano n°3 en la mineur. Quel tempérament pour cette œuvre aux multiples arabesques sonores (le premier mouvement, "Ziemlich langsam – Lebhaft"), et au romantisme irrésistible ! Pas de doute, nous sommes dans la grande période romantique de ce XIXe siècle (le délicieux "Scherzo""Intermezzo"), avec un compositeur usant de multiples couleurs pour rendre cette sonate d’une richesse et d’une expressivité incroyable.

    L’auditeur fondera sans doute sur les délicates et bouleversantes Romances pour violon et piano op. 94, servies par un ensemble au diapason servant à merveille ces pièces finement travaillées. Que l’on pense à la deuxième fantaisie, "Einfach, innig".

    La Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur op. 105 présente la particularité d’avoir été peu aimée du compositeur allemand qui déclarait en 1853 : "La première sonate ne me plaisait pas, c'est pourquoi j'en ai fait une seconde, dont j'espère qu'elle sera meilleure". Une deuxième sonate qui figure bien entendu dans l’album. Mais revenons à cette première sonate. Sans doute moins lumineuse que ce qu’il aurait souhaité, le compositeur s’inscrit dans un  registre très automnal, avec une œuvre moins passionnée que tourmentée (le premier mouvement "Mit leidenschaftlichem ausdruck"). On goûtera avec plus de plaisir le deuxième mouvement allegretto, à la belle légèreté. On trouvera dans cette sonate mal-aimée du compositeur un étonnant et moderne "Lebhaft", singulier mouvement aussi harmonieux que luxuriant, presque festif.

    Toujours chez Robert Schumann, saluons la bonne idée d’avoir inclus dans cette collection la Rêverie, Träumerei, tirée des Scènes d’enfants op. 15, par un Robert Schumann proposant une pièce géniale, mettant à l’honneur l’enfance – ce qui est assez nouveau pour l’époque. Simplicité, délicatesse, fragilité : cette Rêverie va à l’essentiel, sans artifice ni sensiblerie. Vous l’avez deviné : cela en fait une œuvre majeure pour cet enregistrement.

    L’histoire du Concerto pour violon retiré du catalogue officiel de Schumann mériterait à elle seule une chronique entière

    Pour ouvrir la seconde partie de cette Collection Schumann, c’est Clara Schumann qui est mise à l’honneur avec ses Trois Romances pour violon op. 22 dans lequel l’auditeur découvrira ou redécouvrira le génie d’une femme – elle et Robert Schumann étaient amoureux et mariés – s’inscrivant à plein dans le mouvement romantique. La texture de ces Romances – évidemment, le terme n’est pas anodin – laisse deviner, en dépit de leur brièveté, l’univers d’une compositrice subtile, exceptionnelle et capable d’émouvoir, même un siècle plus tard. Que l’on pense au premier mouvement tout en champagne, "Andante molto" mais aussi au formidable "Allegretto".

    Nous en parlions : la Sonate pour violon et piano n°2 op. 121, vantée par un Robert Schumann très crique envers la sonate précédente, est incluse dans cette collection schumanienne. On remarquera que le compositeur se déploie avec bonheur, tout en prenant son temps, à l’instar du premier mouvement "Ziemlich langsam Lebhaft" – plus de 14 minutes quand même –, véritable univers dans l’univers. On peut tout aussi bien parler de paysage musical dans le deuxième mouvement, "Sehr lebhaft", enlevé et vivant. L’auditeur sera sans doute surpris par le mouvement suivant, "Leise, einfach", commençant par des pizzicati d’une belle expressivité – modernes, aurions-nous envie d’ajouter – avant de se déployer vers une jolie berceuse. Voilà qui donne une des plus beaux mouvements de ce double album. Le quatrième mouvement, "Bewegt", retrouve une vigueur nouvelle, grâce aux jeux enthousiastes des frères Fouchenneret.

    L’opus se termine avec un grand orchestre, celui de Normandie dirigé par Jean Deroyer, pour le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur. Après la sobriété et l’intimité des sonates, fantaisies et autres romances, place à une œuvre majestueuse, dense et aux mille teintes, mais que le compositeur n’a jamais vu jouer de son vivant (il est mort en 1856, trois ans après l’écriture du concerto) et qui n’a été redécouverte qu’au milieu des années 30. L’histoire du Concerto pour violon, retiré du catalogue officiel de Schumann pendant des dizaines d'années, mériterait à elle seule une chronique entière, voire un film. L’œuvre se déploie avec majestuosité mais aussi noirceur (le premier mouvement, "In kräftigem, nicht zu schnellem Tempo"), avant un deuxième mouvement, le "Langsam", introspectif, méditatif, voire métaphysique. Le programme se termine avec le troisième mouvement du concerto ("Lebhaft, doch nicht schnell"), brillant et virevoltant.

    Les frères Fouchenneret prouvent par cette Collection Schumann leur  très grande complicité au service d’œuvres essentielles du répertoire romantique. 

    Schumann Collection : Œuvres pour violon /Violin Works, Pierre Fouchenneret (violon), Théo Fouchenneret (piano), Orchestre Régional de Normandie dirigé par Jean Deroyer, b.records, 2023
    https://www.b-records.fr
    https://pierrefouchenneret.com
    https://www.theofouchenneret.com
    https://www.orchestrenormandie.com

    Voir aussi : "Les paroles, la musique et le vieil homme"

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  • Les couleurs musicales d’AyseDeniz

    N’en déplaise aux grincheux, la musique classique et contemporaine connaît depuis quelques années un sérieux renouveau. Un exemple ? AyseDeniz et son dernier album, Patterns.

    La musicienne, originaire de Turquie, s’est fait connaître grâce au bouche-à-oreille et les réseaux sociaux. AyseDeniz cumule des centaines de milliers de fans sur les réseaux sociaux et des dizaines de millions de streams sur les plateformes. Patterns, c’est une foi renouvelée pour le classique et la composition. La pianiste a pour elle l’enthousiasme mais aussi la virtuosité, à l’exemple du singulier "Chaos" qui ouvre son album sorti ce printemps.

    La compositrice propose treize titres, relativement courts (de deux à quatre minutes) qui entendent montrer qu’il y a une vie après Bach ("AfterBach") et que le classique connaît un revival assez inattendu en ce début du XXIe siècle. Non, le romantisme n’est pas plus mort ("Enchanted Heart") semble nous glisser à AyseDeniz à l’oreille, grâce à un piano lumineux et un orchestre qui se déploie avec élégance.

    L’auditeur pourra saluer un album à la fois riche et aux multiples surprises, à l’instar de "Kelton", à la mélodie mystérieux et romanesque. N’importe quel metteur en scène trouvera dans l’opus de l’artiste turque une bande son d’une incroyable richesse, alternant lyrisme ("The Labyrinth Of Freedom"), poésie ("Sunshine City"), mélancolie ("Sarp"), fougue ("Chaos"), retenue ("Threads Of Sound"), pudeur ("Lunapark") et grands élans symphoniques ("AfterBach"). 

    Coloriste musicale

    Véritable concerto pour piano de nos jours (si l’on excepte, à partir de la seonde moitié de l’album des morceaux pour instrument solo), Patterns sait jouer des nuances et prendre l’auditeur par la main, en revenant à l’essence du classique : l’harmonie, la création mélodique et le sens de l’architecture sonore. Écouter "Lunapark", par exemple, c’est entrer dans un monde coloré et lumineux, celui de l’enfance, de l’innocence et de l’insouciance.  

    Disons-le : la musique d’AyseDeniz touche grâce à sa qualité de provoquer des images, y compris à la personne la plus réfractaire au classique ("Sharp"). Dans "Sunshine City", la musicienne se retrouve seule derrière son piano , au service d’une pièce se déroulant avec élégance et en allant à l’essentiel. Et si cet essentiel n’était pas tout simplement la beauté ?    

    Patterns abrite quelques jolies surprises, frappant par leur construction sonore, à l’instar du nu et mélancolique "Peace Finally" ou de l’impressionniste "Velvet Piano". Le choix du piano solo permet à AyseDeniz de montrer toute sa virtuosité ("The Labyrinth Of Freedom"), autant que sa justesse et ses qualités de coloriste musicale toute debussyenne ("In My Head"). On quitte comme de l’album comme on sort d’un rêve, avec une très belle valse, "April Waltz"

    Il faut enfin noter que suite au tremblement de terre catastrophique qui a frappé le pays natal d'AyseDeniz et la Syrie voisine, l'artiste a lancé Help In Harmony, un mouvement musical au profit de l'organisation Turkish Philanthropy Funds. La pianiste souhaite utiliser sa popularité sur les réseaux sociaux afin de réunir des artistes et mobiliser des dons pour de la nourriture de survie, des soins médicaux et psychologiques, des abris et bien plus encore.  

    AyseDeniz, Patterns, Audio Networks, 2023
    https://www.adpianist.com
    https://www.instagram.com/adpianist/?hl=fr
    https://www.facebook.com/ADPianist
    https://www.helpinharmony.com

    Voir aussi : "Majeur !"
    "Nul n’est prophète en son pays"

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  • Pépé ou les silences en musique

    Étonnante et émouvante BD. Mais aussi cinématographique, si l’on veut ajouter un adjectif. Sort en ce mois de juin la dernière création de Guillaume Carayol et Stéphane Sénégas, Un chemin vers Pépé, aux éditions de la Gouttière, dans la collection DoRéMi Chat.

    Un mot sur cette collection au concept inédit mis en place par les éditions de la Gouttière et l'Orchestre de Picardie. DoRéMi Chat propose à des auteurs de s’inspirer d’un morceau de musique classique. Cette oeuvre fait à la fois l'objet d'un livre de bande dessinée et d'un concert interprété par l'Orchestre de Picardie. Une jolie, passionnante et intelligente idée pour les enfants et toute la famille. En 2023, c'est le duo Carayol/Sénégas qui se sont prêtés à l’exercice. Pour leur BD Un chemin vers Pépé, ils ont choisi la 35e Symphonie de Mozart.

    Un livre de bande dessinée et un concert interprété par l'Orchestre de Picardie

    Du héros de cette BD, le lecteur ne saura rien. C’est un enfant d’une dizaine d’années, sans prénom. Il a deux parents et surtout un grand-père, le fameux Pépé.

    Les auteurs nous entraînent sur les pas de l’enfant, au pays des rêves, de la souffrance – mais aussi de la musique de Mozart. Lorsque commence l’histoire, le garçon écrit une courte lettre émouvante à son grand-père dont il est privé de visite à l’hôpital afin de le "protéger". Le lecteur comprend que la mort rôde. Elle se personnalise sous la forme d’un étrange personnage volant. Lorsque la nuit vient, l’enfant rêve, et son compagnon – un nuage noir muni d’une paire d’yeux – l’accompagne dans un étrange pays. Mais l’hôpital redouté n’est pas loin.

    Lorsque le récit de Pépé et de son petit-fils commence, le lecteur y trouvera sans doute une lointaine référence à Little Nemo, bande dessinée pionnière et fondamentale dans l’histoire du 9e art. Ici, pas de dialogues, pas de commentaires, pas de bulles mais un jeune personnage omniprésent, une présence quasi fantomatique de Pépé et un découpage cinématographique soigné. Les notes de Mozart surgissent vers la moitié du livre, comme autant d’apparitions fantastiques et rassurantes.

    Un chemin vers Pépé se veut un excellent livre pour parler du deuil. Avec, en plus, une ouverture vers la musique classique et Mozart.

    Guillaume Carayol et Stéphane Sénégas, Un chemin vers Pépé,
    éd. de la Gouttière, coll. DoRéMi Chat, 2023, 64 p. 

    https://www.facebook.com/carayol.guillaume/?locale=fr_FR
    https://www.facebook.com/stephane.senegas.5/?locale=fr_FR
    http://editionsdelagouttiere.com/livre/le-chemin-vers-pepe

    Voir aussi : "De Jeanne à Jenny"

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